Denise VAN LAMOEN (CHI): "J’espère que ma médaille aura un impact sur le développement du tir à l’arc chilien"

D’origine hollandaise, Denisse VAN LAMOEN est née à Arica au Chili, et a passé la plus grande partie de son enfance dans la ville d’Iquique. Elle a commencé le tir à l’arc à 13 ans et participe à des compétitions internationales depuis l’âge de 17 ans (1996). Cette année-là, elle a remporté les Jeux Panaméricains dans la catégorie junior, et en 1999 elle a terminé deuxième des Jeux Panaméricains seniors à Winnipeg.   Denisse a participé aux Jeux Olympiques de Sydney en 2000, mais elle a perdu au premier tour et terminé au 54e rang. Après une pause pour se consacrer à ses études, l’archère chilienne est revenue à la compétition en 2009, année où elle a battu quatre records nationaux. Aux Championnats du Monde 2011 à Turin, elle a gagné une médaille d'or historique pour le Chili, qui a rapporté une place à son pays pour les Jeux de Londres 2012.   Lors des Championnats du Monde, Denisse s’est qualifiée en 36e position. Elle a battu en huitième de finale la très expérimentée Américaine Khatuna LORIG, qui a participé à quatre Jeux Olympiques. Puis Denisse a créé une autre surprise en quart de finale avec une victoire 6-0 sur une ancienne coéquipière de LORIG, elle aussi très expérimentée, la Géorgienne Khatuna NARIMANIDZE (GEO/12). En demi-finale, aux prises avec la championne d’Europe 2008 Bérengère SCHUH (FRA/16), la Chilienne a remporté une autre victoire 6-2 pour être assurée de gagner au moins une médaille d’argent. Face à une autre Géorgienne, Kristine ESEBUA (GEO/39), Denisse n’a pas manqué une chance en or de devenir championne du monde (6-2)!   Bonjour Denisse! Félicitations pour ton titre mondial. Que signifie-t-il pour toi? J’ai tout d’abord pensé que j’avais réalisé mon rêve, mais je peux dire maintenant que c’est beaucoup plus que ça. Tout sportif rêve de gagner une fois des Championnats du Monde ou des Jeux Olympiques, car ce sont les deux compétitions les plus importantes. Au moins, j’ai réussi un des deux, je peux presque mourir tranquille! (Rires)   Comment expliques-tu ta performance? Ça n’a pas été facile, parce que je viens d’un pays où les moyens économiques sont limités. Le tir à l’arc n’est pas très connu au Chili. Je bénéficie maintenant d’un assez grand soutien, mais l’encadrement technique au niveau des entraîneurs n’était pas très bon il n’y a pas si longtemps. Depuis juin 2011, soit un mois avant le Mondial, notre équipe est entraînée par Martin FREDERICK, ancien entraîneur de l’Allemagne. Son arrivée au Chili est une longue histoire, j’ai l’impression qu’il a été la cerise sur le gâteau. Depuis une année, j’ai suivi une bonne préparation physique en vue de pouvoir supporter une grande quantité de flèches d’entraînement. Je fais du tir à l’arc depuis dix-huit ans, mais je n’avais jamais eu de bons entraîneurs de condition physique avant. C’est Christian MEDINA, un professeur d’éducation physique chilien et archer international, qui s’est occupé de ma préparation physique. Grâce à lui, j’ai été prête pour le moment où Martin est arrivé au Chili, et on a pu faire un travail technique efficace. En fin de compte ces détails techniques sont très importants à ce niveau de tir. On n’avait pas prévu de gagner ces Championnats du Monde, on était conscient de notre niveau et du fait qu’il existe des pays beaucoup plus forts que nous. Malgré cela, je n’allais pas sur la ligne de tir pour perdre! Martin m’a donné une grande confiance.   Quels sont tes projets d’avenir? Avant les Mondiaux, je pensais prendre ma retraite sportive à fin 2011, après les Jeux Panaméricains [où elle a été battue de justesse en quart de finale par la future médaillée d’or mexicaine Alejandra VALENCIA, 5-6 (28-25, 25-27, 26-26, 26-25, 26-27, 8-9)]. Je poursuis des études universitaires et dois préparer un examen très important pour recevoir le titre d’avocate. Comme il n’y avait pas de très bons entraîneurs au Chili, je pensais prendre ma retraite prochainement. Sur ce, arrive Martin, qui m’a encouragée à continuer. J’ai rétorqué que je devais finir mes études, obtenir mon diplôme, etc. Le plus important pour nous, aux Mondiaux, était d’obtenir une place pour les Jeux Olympiques, et j’ai dit à Martin qu’on verrait après ça ce que je ferais. En fin de compte, on a gagné non seulement la qualification mais carrément les Championnats du Monde. Le travail qu’on a fait dans le mois précédent était si détaillé, si varié, que j’en ai retiré une grande confiance en moi et en mes capacités à lutter sur le pas de tir contre des archères très fortes.   Qu’est-ce que tu étudies? Je fais des études de droit. J’ai fini tous les cours et obtenu mon diplôme, mais il me reste à passer un gros examen pour être licenciée comme avocate. Ça va me prendre sept mois de préparation puis, comme le veut le système au Chili, je devrai travailler six mois pour le gouvernement. Je ne sais pas quand je vais arrêter le tir à l’arc pour me consacrer à cet examen. Je dois le passer au plus tard trois ans après l’obtention de mon diplôme, ce qui correspond à fin 2012. Le problème, c’est que je ne peux pas le préparer avant les Jeux Olympiques, car ça signifierait arrêter le tir. Donc je dois choisir: soit les J.O., soit le titre d’avocate. Maintenant que j’ai gagné les Championnats du Monde, l’Université, qui m’a toujours aidée à concilier études et tir, me donnera peut-être un délai d’une année supplémentaire après les Jeux pour préparer l’examen du barreau. Que ce soit dans mes études ou dans le sport, je reçois le soutien constant de ma famille: mes parents, qui sont formidables, mon grand frère et ses enfants, mon ami, qui me soutient en permanence. C’est ce qu’il y a de plus important.   Lors des Championnats du Monde, quel était ton état d’esprit au cours des matchs d’élimination et des finales? Tout était très clair pour moi. Tout sportif veut gagner, mais si l’on y pense trop, parfois ça nous perturbe et nous déconcentre. J’estime que les résultats sont le fruit du travail, et non de ce qu’on espère obtenir. Je voulais avancer dans les éliminations, mais le principal était de me concentrer sur ce que je faisais tour après tour sur le pas de tir. J’étais en contact permanent avec mon entraîneur. La seule manière de réussir était de travailler sur chaque détail qu’il m’indiquait. Les erreurs surviennent, l’important est d’arriver à les dépasser. Par exemple, lors de l’Epreuve FITA, j’ai tiré un Miss, parce que j’ai oublié de changer le viseur. J’étais furieuse! J’ai essayé de canaliser toute cette colère pour la transformer en une meilleure concentration pour compenser cette faute. Au final j’ai tiré 327 points, nouveau record du Chili, en dépit de cette flèche hors de la cible, on peut dire que je me suis bien rattrapée! J’ai tout le temps été très concentrée, et je ressentais une grande nervosité au cours des éliminations. J’ai toujours été très nerveuse en compétition. Je m’étais toujours demandé quelles étaient les sensations des championnes du monde et des championnes olympiques. Est-ce qu’elles ressentent la même chose que moi? La même nervosité? Je pensais que non, qu’elles avaient une meilleure maîtrise d’elles-mêmes, un meilleur contrôle que moi. J’ai toujours cru qu’elles étaient au-dessus de ça. Tous les archers sont nerveux sur la ligne de tir. Peut-être que certains le sont moins que d’autres, moi je le suis tout le temps beaucoup. Il y a une grande lutte intérieure. La nervosité signifie peur de gagner ou de perdre. On essaie toujours de l’occulter, pour que personne ne s’en rende compte. Cette année, j’ai enfin accepté ma nervosité. Elle fait partie de la compétition, et je fais avec. Si quelqu’un la remarque, tant pis. J’essaie d’avoir le meilleur contrôle possible sur mon corps. Je ne veux pas que la peur me contrôle, je veux contrôler ma peur.   Qu’est-ce qui a provoqué ce changement d’approche? Je travaille avec un psychologue du sport, qui se trouve être mon ami. On travaille ensemble depuis très peu de temps: on a commencé peu avant l’arrivée de Martin au Chili. Avant, j’avais un autre psychologue, mais j’ai mis fin à cette relation. Je ne savais pas quoi faire, car il y a peu de psychologues du sport au Chili. Mon ami a travaillé entre autres avec le tennisman Fernando GONZALEZ. J’avais peur de travailler avec lui et quelques doutes, vu que nous sommes en couple. On a décidé de faire un essai, et d’abandonner si ça ne marchait pas. Et ça fonctionne merveilleusement. Je l’admire beaucoup, j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec lui. De plus, j’ai aussi gagné en confiance grâce à Martin. Il a toute l’expérience nécessaire et je peux enfin me reposer sur quelqu’un qui connaît mes besoins. Tout ce qu’il me dit provient de ses connaissances et de sa grande expérience. Alors qu’avant, j’en savais parfois plus que l’entraîneur et me sentais un peu seule. Je ne renie pas l’aide que m’a apportée Christian, car elle est intervenue sur un autre plan, le plan physique. Grâce à sa préparation, je peux supporter sans problème un entraînement de 350 flèches et concourir sans être fatiguée, tirer par tous les temps, etc. Mais du point de vue technique, la confiance que m’a donnée Martin est quelque chose que je n’avais pas avant.   A Turin, tu n’as rencontré aucune Coréenne sur ton parcours. Penses-tu que cela ait joué un rôle dans ta victoire? Je n’ai malheureusement jamais tiré contre une Coréenne. J’en ai toujours rêvé, mais il n’y avait aucune Coréenne dans ma partie du tableau à Turin. Cela dit, affronter une archère comme Bérengère SCHUH me donne bien autant de sensations fortes, parce que c’est une des meilleures archères du monde. A vrai dire, pendant la compétition je ne pensais pas à qui j’avais en face: je me concentrais sur mon tir. J’ai toujours voulu tirer contre une Coréenne. Comme elles ne font presque jamais de fautes, il y a plus de pression pour ne pas en faire non plus. Ça correspondait bien à mon état d’esprit à Turin: chercher la perfection dans chaque tir, ne pas faire de fautes. Mais j’en ai quand même fait: j’ai tiré un 6 contre une Géorgienne. Qui sait, peut-être que ça aurait été impardonnable face à une Coréenne. Dans l’état d’esprit où j’étais, l’identité de mon adversaire importait peu. Mon match le plus difficile a été celui contre Bérengère. L’archère du Taipei LE Chieh-Ying a aussi été une adversaire très difficile, elle avait tiré plus de 1350, et c’est la première archère que j’ai affrontée le deuxième jour des éliminations. Cela dit, j’espère toujours me retrouver une fois face à une archère coréenne!   La pénurie d’entraîneurs au Chili est-elle la raison pour laquelle tu as passé quelque temps en France au Centre national d’entraînement (INSEP)? Oui, c’était lié. Je suis partie en France en 2000. Je m’étais qualifiée pour les Jeux Olympiques de Sydney, mais il n’y avait pas au Chili un entraîneur capable de m’aider au niveau qui était le mien. Il n’y avait pas non plus d’entraîneurs qualifiés dans les pays environnants. Le tir à l’arc n’était pas développé en Amérique du Sud à l’époque. De plus, j’avais besoin de me mesurer à des archères étrangères. Je ne me souviens plus très bien comment j’ai atterri en France. J’ai passé sept mois à l’INSEP. J’ai surtout été entraînée par Marc DELLENBACH, qui était alors en charge de la relève. Bérengère SCHUH  faisait partie de cette sélection jeunesse à l’époque. [Denisse VAN LAMOEN a justement battu la Française, toujours entraînée par Marc DELLENBACH, en demi-finale des Mondiaux de Turin!]Marc m’a prise sous son aile et s’est vraiment bien occupé de moi, il m’a préparé un programme d’entraînement. Je ne pouvais pas m’entraîner avec le responsable de la sélection adulte, Patrick LEBEAU, car j’allais affronter son équipe aux J.O. Donc j’ai travaillé avec Marc, qui est un très bon entraîneur et une personne formidable. Il a été parmi les premiers à me féliciter quand j’ai gagné l’or à Turin, j’étais si heureuse car c’est quelqu’un qui a compté à un moment difficile de ma vie: j’avais 19 ans et j’avais tout quitté pour me rendre dans un pays étranger où je ne connaissais personne et dont je ne parlais pas la langue. Quand j’ai gagné mon titre à Turin, j’ai tout d’abord ressenti une infinie reconnaissance. J’ai repensé à toutes les personnes comme Marc qui m’ont aidée au cours de mes dix-huit ans de carrière, dans les moments difficiles comme dans les bons.   Quel a été l’impact de ta médaille dans ton pays – la première médaille d’or mondiale du Chili en tir à l’arc? L’impact a été relativement important, mais j’ai du mal à le mesurer car je n’ai pratiquement pas passé de temps au Chili dans le mois qui a suivi les Mondiaux. C’est non seulement la première fois que le Chili gagne une médaille d’or en tir à l’arc classique, mais aussi dans une discipline olympique, ou féminine. Le Chili a gagné ses dernières médailles de tir à l’arc dans les années 1950 et 1960, dans des disciplines qui n’étaient pas olympiques, d’où l’impact important de mon titre. La presse s’est déchaînée, chacun voulait son interview exclusive. J’ai cru que l’attention médiatique allait me rendre folle. Je devais continuer à m’entraîner car d’autres compétitions m’attendaient. J’ai décidé, pour ma tranquillité d’esprit, de tenir une conférence de presse à Santiago, pour tous les médias chiliens, et c’est tout. Malgré cela, les journalistes continuent de me solliciter, et j’ai peu de temps à leur consacrer car je dois m’entraîner et voyager sur des compétitions. J’aimerais pouvoir dire oui à tout le monde, mais la journée n’a que 24 heures. J’espère par-dessus tout que ma médaille aura un impact sur le développement du tir à l’arc chilien. J’ai maintenant tout le soutien nécessaire pour l’avenir, mais j’espère que l’impact concernera le soutien aux jeunes archers. Je vais bientôt prendre ma retraite sportive, et on a besoin d’une relève, afin de constituer une sélection plus forte et de construire sur le travail qui a été fait par Martin. Notre équipe féminine a été bien encadrée pour les Jeux Panaméricains, mais il n’y a que deux archères derrière moi, c’est trop peu. Sophia MORAGA a 21 ans, et Muriel DESCHAMPS 23. Elles sont jeunes, mais du côté des hommes, le moins âgé est Christian MEDINA, 43 ans. Pour le moment ils tirent bien, mais dans quelques années il faudra les remplacer par des archers plus jeunes. J’espère que ma médaille aura des retombées dans ce sens.   Vanahé ANTILLE World Archery Communication  
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